Hindouisme, Yoga, Tantrisme, Bouddhisme, Zen, Taoïsme, voilà quelques mots, parmi de nombreux autres, qui sont évoqués par le titre. Il est important de ne pas confondre ces différents domaines dans un syncrétisme réducteur ni de les opposer schématiquement. Comme l’a dit ASANGA, sage bouddhiste du 4ème siècle :
« Les eaux des rivières paraissent séparées à cause de la diversité de leurs lits, mais une fois rentrées dans l’océan elles n’ont plus qu’un seul lit, qu’une seule masse d’eau. »
RAMAKRISHNA, sage du 19ème siècle, disait :
« J’ai trouvé que c’est le même dieu vers qui toutes les religions se dirigent, par des voies différentes. »
Toutes ces voies spirituelles comportent une ascèse dont le point commun est la méditation.
La méditation en tant que chemin purifie l’esprit. La méditation s’achève et s’éteint dans son but qui est la reconnaissance de la nature de l’esprit : l’esprit se reconnaissant lui-même. Une image se trouve aussi dans la tradition occidentale : le serpent qui se mord la queue. En Asie de nombreuses expressions désignent ce but : l’esprit originel, la nature de Bouddha, le Brahman etc.
Les chemins traditionnels sont très nombreux. En fait, il existe autant de chemin que de maître réalisé. Cependant ces nombreux chemins peuvent se grouper plus ou moins artificiellement selon les aspects que le disciple ou le descripteur juge important. C’est ainsi que certains distinguent le chemin de la dévotion, le chemin de la connaissance (Jnana Yoga, Connaissance Transcendante), le chemin des mantras (Mantrayana, Japa), le chemin de l’énergie (Tantras, Hatha Yoga), le chemin de l’illumination subite (Ch’an, Siddha yoga, Dzogchen) etc. Un chemin peut utiliser plusieurs méthodes, ainsi le bouddhisme tibétain les utilise toutes.
Dans cette étude je vous invite à écouter quelques Maîtres de l’école chinoise CH’AN qui, importée au Japon, prit le nom de ZEN. Il est important de faire remarquer que le mot ZEN est la traduction du mot CH’AN qui signifie simplement MEDITATION.
L’école CH’AN se constitua en Chine au 6ème siècle. La tradition veut que le CH’AN ait été introduit par un moine indien nommé BODHIDARMA qui a imprimé à l’école des caractéristiques originales :
– importance de la contemplation assise face à un mur
– transmission d’esprit à esprit
– théorie des 2 accès, par le principe et par l’esprit.
Une stance attribuée à BODHIDHARMA résume son enseignement :
Une transmission spéciale en dehors des écritures.
Aucune dépendance vis à vis des mots et des lettres.
Se tourner directement vers son seul esprit.
Contempler sa propre nature.
La tradition nous apprends que HUIKE, second patriarche de l’école, se coupa un bras et l’offrit à BODHIDARMA qui refusait de lui transmettre la doctrine. Ultérieurement lorsque BODHIDHARMA s’enquit des connaissances qu’avaient acquises ses disciples, HUIKE se contenta de s’incliner en silence : BODHIDHARMA lui remis alors le soutra Lankavatara qui devint le texte essentiel de l’école. On y trouve les propos suivants :
…l’ignorant et le simple d’esprit, ne sachant pas que le monde n’est que ce qui est vu de l’esprit lui-même, s’attachent à la multitude des objets externes et aux notions d’être et de non-être, d’un et d’autrui, des deux unis et séparés, d’existence et de non-existence, d’éternité et de non-éternité…
SENGCAN, 3ème patriarche, était atteint par la lèpre lorsqu’il rencontra HUIKE.
Cette maladie me fait beaucoup souffrir ; je t’en prie, lave moi de mes péchés.
– Apporte moi ici tes péchés, répondit HUIKE, et je t’en laverai.
Après un long silence, SENGCAN confessa :
Je les ai cherchés mais je ne peux pas les trouver.
A quoi HUIKE répliqua :
– Vois ! Tu viens d’être purifié.
Certains attribuent à SENGCAN le célèbre poème Xinxin Ming parfois traduit par Sur l’esprit croyant :
Les choses sont les choses à cause de l’esprit.
L’esprit est l’esprit à cause des choses.
Si vous voulez savoir ce qu’ils sont l’un et l’autre,
Sachez qu’à l’origine ils sont une vacuité.
Dans ce vide tous deux (esprit et choses) sont un,
Et ils contiennent la myriade des phénomènes. »
…
Abondance de paroles et de pensées
Correspond de moins en moins à la vérité.
Eloigner paroles et pensées,
Alors, il n’y aura aucun lieu où l’on ne puisse pénétrer.
…
L’endroit que la pensée n’atteint pas
Ni conscience ni passion ne peuvent le sonder.
Dans le domaine de la vérité de l’Ainsité,
Il n’y a ni « autre » ni « soi ».
…
Si rien ne surgit, il n’y a aucune pensée.
Le sujet est annihilé sitôt que l’objet cesse…
DAOXIN est le premier maître chinois CH’AN dont l’enseignement nous soit directement parvenu. Il est à l’origine de la tradition monastique laborieuse du CH’AN.
Partant de l’idée que l’esprit qui considère le Bouddha est Bouddha, la méthode consiste à unifier l’être, pensée après pensée sur le Bouddha. Lorsque l’esprit qui évoquait le Bouddha se dissout, il n’y a plus rien à en dire : c’est l’éveil.
Ne rien considérer en particulier, dit la Grande Recension de la PRAJNAPARAMITA, c’est considérer le Bouddha.
Pourquoi « ne rien considérer » ? Parce que l’esprit qui considère le Bouddha n’a rien à considérer. Il n’y a pas d’autre Bouddha que l’esprit, pas d’autre esprit que le Bouddha. « Considérer le Bouddha », c’est considérer l’esprit. Chercher l’esprit, c’est chercher le Bouddha. » Et comment ?
La conscience n’a pas de forme et le Bouddha pas d’apparence. Quand vous comprenez cette vérité, votre esprit se repose dans la constante évocation du Bouddha, plus rien ne vous distrait et tout se dissout dans le sans-aspect, la non-duelle égalité. En entrant dans cet état, votre esprit qui évoquait le Bouddha disparaît et il n’est plus besoin de rien prouver.
Le Tathagata s’est manifesté ici-bas selon des représentations mentales erronées des êtres vivants. Si celui qui aujourd’hui pratique, affine son esprit jusqu’à la pureté totale, il reconnaîtra que le Tathagata n’a jamais prêché et il aura ainsi reçu la totalité des enseignements.
Après examen, certains perçoivent la clarté et la pureté de leur esprit, comme s’il était un radieux miroir. D’autres ont besoin d’une année entière pour que leur esprit recouvre sa clarté et sa pureté. A d’autres encore il faut de trois à cinq ans pour que leur esprit recouvre sa clarté et sa pureté.
Il en est certains qui, bien que n’ayant pas réalisé la nature ultime des choses, s’instaurent guides des êtres pour le renom et l’argent. Ils ne savent même pas distinguer les différentes facultés et niveaux de leurs disciples…Ils se mentent à eux-mêmes et trompent les autres.
Celui qui préserve l’unité sans en dévier pose un regard concentré, mais vide et pur, sur quelque chose, de nuit comme de jour, exclusivement, finement, sans jamais bouger. Quand son esprit est sur le point de se disperser, il s’empresse de le ramener sous contrôle, comme on attache la patte de l’oiseau par un fil pour l’empêcher de s’envoler. De tout le jour il ne cesse de regarder ; ses pensées se dissolvent et son esprit se fixe de lui-même : « l’esprit concentré est le lieu de l’éveil », dit le Vimalakirti soutra. Telle est la méthode du contrôle de l’esprit.
Ayez constamment ce regard sur votre attachement à certaines situations, sur vos cognitions fallacieuses, sur vos cogitations et vos idées éparses. Quand il ne s’impose plus le moindre désordre en votre esprit, vous avez calmé vos pensées grossières. Quand l’esprit est calme, les pensées ne trouvent plus à quoi s’attacher et, selon votre karma, vous apaiserez toutes vos passions. Ainsi, en ne créant plus de nouveau karma, vous atteindrez ce qu’on appelle libération.
HONGREN continua la tradition monastique instaurée par DAOXIN. Jamais le CH’AN ne fut aussi prospère qu’à son époque.
Lorsque vous êtes assis en méditation pendant la nuit, vous allez voir toutes sortes de bonnes ou mauvaises choses ; ou alors vous allez vous recueillir en passant par le bleu, le jaune, le rouge ou le blanc ; ou alors vous verrez irradier une grande lumière ; ou bien vous verrez l’image du Bouddha Tathagata ; ou bien plusieurs sortes de manifestations autres se produiront en vous. Lorsqu’elles vous apparaissent et que vous en prenez conscience, concentrez-vous sans vous y attarder. Tous ces phénomènes sont vides et seules des illusions sont apparues.
HUINENG est le premier grand maître de la doctrine subite. Des renseignements autobiographiques sont donnés par le soutra de l’Estrade.
HONGREN organisa un concours afin de désigner son successeur. SHENXUI, alors instructeur de méditation, sachant qu’il n’avait pas atteint l’illumination, écrivit cependant nuitamment une stance sur un mur :
Ce corps est l’arbre de la Bodhi.
Ce coeur est comme un miroir brillant.
Sans cesse nous les époussetons et essuyons
Afin de ne pas y laisser s’attacher la poussière.
HUINENG, illettré, fit écrire une autre stance :
Il n’y a pas d’arbre d’illumination
Ni cadre de miroir brillant
Puisque intrinsèquement tout est vide,
Ou la poussière peut-elle s’attacher ?
HONGREN, reconnaissant la réalisation de HUINENG, lui remit en secret la robe et le bol de mendiant le désignant ainsi comme 6ème patriarche.
Erudit auditoire, rester libre de tout attachement envers les objets extérieurs, c’est la méditation. Atteindre la paix intérieure, c’est la suprême concentration, c’est samadhi.
Réaliser qu’il n’y a rien à voir mais retenir le concept de l’invisibilité, est quelque chose de semblable à la surface du soleil obscurcie par des nuages passagers.
Réaliser qu’il n’y a rien à connaître, mais retenir le concept de l’Inconnaissable, peut être comparé au ciel pur défiguré par la lueur d’un éclair.
Permettre à des concepts arbitraires de surgir spontanément dans votre nature indique que vous n’avez pas reconnu la nature propre et que vous ne connaissez pas encore les moyens propres à sa réalisation.
Si vous réalisez, pour un instant, que ces concepts arbitraires sont faux, alors votre propre lumière spirituelle vous éclairera constamment.
A ceux qui ont réalisé la nature propre, il importe peu de formuler n’importe quel système ou de s’en dispenser. Ils ont pleine liberté de venir ou d’aller, car ils sont libérés de tous les obstacles et de toutes les entraves.
Ne doutez pas que Bouddha soit dans votre nature hors de laquelle rien ne peut exister. C’est parce que toutes les choses ou phénomènes sont le produit de notre pensée que le soutra dit : « Quand commence l’activité mentale, les divers objets existent, quand l’activité mentale cesse, les divers objets n’existent plus. »
Lors d’un synode CH’AN en 732, SHENHUI, homme charismatique, dénonça SHENXUI comme un faux maître et opposa au gradualisme de l’école du nord le subitisme de l’école du sud.
Approfondissant les options de HUINENG pour qui la méditation tout en étant nécessaire n’était pas suffisante, SHENHUI affirma que s’attacher aux pratiques et aux efforts pour atteindre le nirvana, la vacuité ou l’illumination, c’est rester dans des notions et du fabriqué. L’illumination est subite, il s’agit d’un bouleversement de la conscience provoqué par une réponse apparemment absurde du maître, une réflexion sur un aphorisme ou un cris. On atteint alors l’absence de pensée (wou nien) qui est la substance de notre esprit propre.
Dans notre école, on indique tout de suite que c’est la compréhension qui est essentielle et qu’il n’est pas nécessaire d’avoir recours à la multitude des textes. On déclare seulement que tous les êtres ont un esprit qui est foncièrement supraphénoménal. Tout ce qu’on appelle phénoménal est également esprit d’erreur. Qu’est-ce que l’erreur ? Fixer son esprit en ayant une activité de l’esprit, saisir la vacuité, saisir la pureté et enfin mettre son esprit en mouvement pour chercher à éprouver la boddhi et le nirvana, tout cela est illusion et erreur.
La joie que procurent ensemble la vue du principe absolu et la sapience, voilà l’illumination subite. Comprendre sans avoir recours au graduel, spontanément, voilà le sens de la nature subite. La vacuité et la quiétude originelle de l’esprit propre, voilà l’illumination subite. L’absence de demeure de l’esprit propre, voilà l’illumination subite. La compréhension de son esprit propre au milieu de tous les dharmas, voilà l’illumination subite. Entendre parler de la vacuité sans s’attacher à la vacuité et sans saisir non plus la non vacuité, voilà l’illumination subite. Entendre parler du moi sans s’attacher au moi et sans saisir non plus le non moi, voilà l’illumination subite… Ceux qui partent du principe absolu parviennent rapidement au chemin. Ceux qui cultivent les pratiques externes y parviennent lentement.
MAZU DAOYI est resté pendant plus de 10 ans avec son maître HUAIRANG, lui-même disciple de HUINENG. Doté d’un esprit critique et d’une vaste érudition, le CH’AN de MAZU était essentiellement fondé sur le Lankavatara soutra. Pédagogue exceptionnel, MAZU mettait à profit toutes les occasions pour faire percevoir à chaque disciple, par la parole et le geste, qu’il n’y avait rien à rechercher ni au dedans ni au dehors. Il fut le premier maître à poser au novice des questions sans réponse, à pousser des cris pendant que celui-ci cherchait la réponse. Il a aussi utilisé l’appel inopiné par le nom, la gifle, la réponse à une question par une autre question sans relation etc.
Ceux qui recherchent la loi ne doivent rien rechercher. Il n’est pas de Bouddha en dehors de l’esprit, il n’est pas d’esprit en dehors du Bouddha. Ne vous attachez pas au bien, ne rejetez pas le mal, ne vous appuyez pas sur les deux extrêmes de la pureté et de l’impureté. Ainsi vous comprendrez que la nature des fautes commises est vacuité. Les pensées ne peuvent être atteintes, car elles n’ont pas de nature propre. Le triple monde n’est que l’esprit…
Ceux qui recherchent la voie à l’extérieur s’en éloignent sans cesse de plus en plus. Qu’ils épuisent les pensées du coeur de ce triple monde : mais qu’une seule pensée subsiste dans le coeur, et la racine fondamentale de la transmigration dans le triple monde demeure. Lorsque cette seule pensée disparaît, la racine fondamentale de la transmigration est éliminée … Depuis d’innombrables kalpas, les pensées fausses des êtres ordinaires, leurs ruses, leur fausseté, leur orgueil et leur arrogance sont unis au corps de l’Unité.
Lorsque la pensée d’avant, la pensée d’après et la pensée du milieu ne sont pas reliées entre elles, chaque pensée est dans l’extinction (nirvana) et l’on appelle cela « samadhi du sceau de l’océan » qui englobe toutes choses, pareil à l’océan auquel retournent les cent mille cours d’eau différents et qui tous sont l’eau de l’océan à la saveur unique et comprenant toutes les saveurs.
En définitive, le fonctionnement des organes des sens et tous les actes sont l’essence de la doctrine. Ceux qui ne savent pas retourner à la source s’attachent aux noms, poursuivent les phénomènes, de sorte que s’élèvent passions erronées et pensées fausses, et ils cultivent toutes sortes de karma Mais pour qui est capable en une seule pensée de retourner à la source, son être entier devient le Coeur saint.
Si l’on se tient dans l’absolu, toutes les choses sont l’absolu, si l’on se tient dans le phénoménal, toutes les choses sont le phénoménal. Que lorsque les éléments s’élèvent, l’absolu et le phénoménal ne sont pas distincts. Si l’on parvient à ces merveilles sans quitter l’absolu, tout n’est alors que changement du coeur. Il en est comme de la lune : ses reflets sont multiples, mais la lune véritable est unique. De même, les eaux de source sont nombreuses, mais la nature de l’eau est unique. Les phénomènes du monde sont multiples, mais la vacuité est une . Il existe plusieurs théories, mais la sagesse sans obstruction est unique.
L’ enseignement de HUANG PO est bien connu grâce à un haut fonctionnaire chinois qui écrivit un résumé des conversations qu’il eut avec lui et des anecdotes dont il eut connaissance. HUANG PO s’intéressa surtout à la transmission sans paroles, d’esprit à esprit. Ses techniques consistaient à rugir, crier, frapper, appeler à l’improviste le nom d’un disciple, rester silencieux ou le contredire systématiquement. Il insistait sur le fait que le CH’AN ne pouvait pas être enseigné et qu’on devait y accéder intuitivement. Il considérait que la pensée conceptuelle était le plus grand obstacle à la réalisation.
Le Premier Ministre invita le Maître dans la cité et lui présenta sa propre interprétation du CH’AN telle qu’il l’avait rédigée. Le Maître la prit et la posa sur la table sans la lire. Après un court silence, il demanda au Premier Ministre : « Est-ce que vous comprenez ? » Le Ministre répondit : « Je ne comprend pas. » Le Maître dit : « Il serait mieux que vous puissiez comprendre immédiatement par l’expérience intérieure. Si on l’exprime par des mots, ce ne sera pas de notre enseignement qu’il s’agira. »
Cependant, les être vivants cherchent toujours ailleurs en s’attachant à des caractères particuliers, et en cherchant, ils en viennent à tout perdre, car en envoyant leur idée du Bouddha à la recherche du Bouddha et leur esprit à la recherche de l’esprit, même à corps perdus pendant des kalpas, ils ne peuvent aboutir à rien. Ils ignorent que le Bouddha apparaît spontanément à celui qui arrête de l’évoquer en se dégageant du processus de la pensée.
Une silencieuse coïncidence suffit pour que s’arrête le discours intérieur. C’est pourquoi, il est dit que :
« Lorsqu’aux mots la route est coupée,
Les activité mentales s’arrêtent. »
Les gens du commun préfèrent les objets et les mystiques, l’esprit. La vraie méthode consiste à oublier à la fois les objets et l’esprit. Or il est facile d’oublier les objets, il est très difficile d’oublier son esprit. Les gens n’osent pas oublier leur esprit, ils ont peur de tomber dans le vide sans avoir quoi à se raccrocher, parce qu’ils ignorent que la vacuité n’est pas un vide, mais le domaine absolu, unique et véritable.
Les imbéciles chassent les situations et non leurs états d’esprit, tandis que les sages chassent leur esprit sans chasser les situations.
Nous nous contentons de savoir que le repos, c’est le calme de l’esprit, et qu’il n’est plus alors besoin de produire des pensées qui s’enchaînent.
On dit toujours que l’esprit est le Bouddha. Je n’ai pas compris de quel esprit il s’agissait.
– Combien d’esprits avez-vous ?
Pour m’exprimer autrement, est-ce l’esprit ordinaire ou bien l’esprit extraordinaire qui est le Bouddha ?
– Où donc avez-vous un esprit ordinaire et un esprit extraordinaire ?
La prédication du Thatagata, est-il écrit, a pour fin de convertir. Elle ne fait que montrer des feuilles jaunes aux petits enfants en leur faisant croire que c’est de l’or pour les empêcher de pleurer. Il n’y a là rien de réel ! … Le soutra l’affirme : « Il n’y a en fait aucune réalité à trouver, et cela porte le nom d’éveil suprême. » Quand on comprend cela, on sait que la voie du Bouddha et la voie du diable sont aussi fausses l’une que l’autre.
Vous avez toutes sortes d’opinions, sur l’ordinaire et l’extraordinaire, sur le pur et l’impur, qui sont autant d’obstacles. Tous ces obstacles se combinent à votre esprit pour former un engrenage de cercles vicieux où vous êtes bientôt comme un singe qui jette un fruit pour en cueillir un autre sans que cela prenne jamais fin. Bien qu’il s’agisse toujours d’étudier, il ne faut absolument rien étudier.
Voilà mon unique requête : comprenez la nature de votre esprit fondamental ! Au moment même de cette claire compréhension, vous ne trouverez rien de tel qu’une caractéristique appelée « compréhension », et il est impossible de trouver quelque chose qui ne soit ni compréhension ni incompréhension …
il y a eu quelques personnes qui ont été capables de comprendre cette méthode et c’est d’eux qu’on dit qu’il y en a quelques-uns dans ce bas monde qui « se sont oubliés eux-mêmes. »
D’instant en instant, sans opinion sur quelque caractère particulier que ce soit, on ne trouve plus de limites entre le passé, le présent et le futur. Le passé ne s’éloigne pas, le présent n’est pas fixe et le futur n’approche pas. Assis bien droit, paisiblement, on se laisse aller sans retenue : c’est la « libération ».
LIN-TSI devint à 20 ans l’élève de HUANG PO. Après 3 ans d’études, il lui demanda par trois fois : « Quelle est la signification réelle de la venue de l’Ouest de BODHIDARMA ? » et par trois fois HUANG PO le battit. LIN-TSI fit alors ses adieux à HUANG PO et se rendit dans un monastère voisin dont le maître lui expliqua la grande bonté qu’avait eu HUANG PO à son égard. LIN-TSI comprit à cet instant et pressé par le maître d’expliquer ce qu’il avait compris, il le battit. De retour, LIN-TSI expliqua son éveil à HUANG PO et spontanément le gifla. Effrayé, HUANG PO dit alors : « Ce moine fou tire les moustaches du tigre. » LIN-TSI poussa alors la première fois le cri qui devint célèbre par la suite.
Ennemi du verbalisme, LIN-TSI recourrait souvent aux cris, à l’éructation, aux gestes et aux comportements pour éveiller les apprentis.
Y-a-t-il encore des questionneurs ? Qu’ils s’avancent vite et questionnent ! Mais à peine ouvririez-vous la bouche que vous seriez en-dehors de la question… C’est parce que vous n’avez pas suffisamment confiance en vous-mêmes que vous voilà empêtrés à cette heure dans toutes ces lianes parasites de vains mots.
Comprendre ou ne pas comprendre, tout cela est faux. C’est là ce que je déclare bien clairement, et les gens du monde entier n’ont qu’à dire de moi tout le mal qu’ils voudront.
C’est parce que les apprentis n’ont pas suffisamment de confiance qu’ils courent tant chercher à l’extérieur ; et même s’ils trouvent quelque chose, ce ne sont que supériorité selon la lettre ; jamais ils ne trouvent l’esprit même du patriarche vivant.
Adeptes, les choses de l’esprit sont sans figure sensible ; elles compénètrent tout dans les dix directions. C’est l’esprit qu’on appelle la vue dans l’oeil, l’ouïe dans l’oreille, olfaction dans le nez, la discussion dans la bouche, la préhension dans les mains, la course dans les pieds. Ce n’est foncièrement qu’un seul rayonnement subtil qui se répartit en six contacts.
Vous ne pensez qu’à chercher le Bouddha : le Bouddha est un nom. Et celui-là même qui court chercher, le connaissez-vous seulement ?
Plus on cherche, et plus on est loin ; toute recherche va à fin contraire. C’est là ce que j’appelle un secret.
…il ne faut jamais se laisser tromper par les gens ; il faut être partout son propre maître ; il faut être vrai où que l’on soit. Tout ce qui vous vient du dehors, ne le subissez pas ! Car une seule pensée de doute, c’est Mara qui entre dans votre coeur.
Il n’y a rien hors de l’esprit ; rien non plus à trouver dans l’esprit . Que cherchez-vous donc ?
Qu’allez-vous chercher dans des royaumes de Bouddha qui sont des transformations, des points d’appui dépendants ? Il n’est jusqu’aux Trois Véhicules et au Dodécuple Enseignement, qui ne soient vieux papiers bons à s’essuyer le bran. Le Bouddha est un corps de métamorphose fantasmagorique ; les patriarches, ce sont de vieux bonzes.
Où est-il maintenant le Bouddha ? Il est clair que, pour ce qui est de naître et de mourir, il ne différait pas de nous.
Plutôt que de vous attacher à mes paroles, mieux vaut vous mettre au repos et rester sans affaires. Ce qui s’est produit, ne le laissez pas continuer ; ce qui ne s’est pas encore produit, ne le laissez pas se produire. Cela vaudra mieux pour vous que dix années de pérégrinations.
Vous venez de toute parts avec l’idée de chercher le Bouddha, de chercher la Loi, de chercher la délivrance, la sortie du triple monde. Sortir du triple monde, imbéciles ! Pour aller où ?
EN CONCLUSION
Sur tout sujet il est possible de s’exprimer de multiples manières. J’ai choisi de faire présenter le CH’AN par quelques-uns de ses plus grand Maîtres. Leurs propos sont limpides mais malheureusement nos esprits compliqués y rajoutent commentaires, interprétations, hypothèses… Bref nous nous mettons « une tête sur notre tête ». Et nous continuons à errer sans fin à la recherche … de notre propre recherche.
Je vais conclure en revenant à la tradition tibétaine que je connais mieux que la tradition chinoise. BOKAR Rinpoché, KALOU Rinpoché et tous les Maîtres de la lignée KAGYUPA enseignent: « TEU, SAM, GOM, SOUM ». Ce qui peut se traduire par : LES TROIS : L’ECOUTE, LA REFLEXION, LA MEDITATION.
D’abord l’apprenti écoute l’enseignement.
– Il ne doit pas écouter comme un récipient posé à l’envers dans lequel aucun liquide ne peut rentrer. C’est à dire qu’il doit être attentif et s’ouvrir à l’enseignement.
– Il ne doit pas écouter comme un récipient percé qui laisse fuir le liquide. Ce qui signifie qu’il ne doit pas oublier l’enseignement.
– Il ne doit être comme un récipient empoisonné : quelle que soit la quantité de liquide qui y rentre le liquide est gâché. C’est une image de l’apprenti qui n’a pas l’attitude adéquate vis à vis de l’enseignement : quelle que soit la qualité et la quantité des enseignements qu’il aura écoutés, ils seront souillés par ses propres préjugés et les enseignements ne lui seront pas bénéfiques.
Ensuite l’élève réfléchit à l’enseignement. Il ne l’accepte pas et ne le refuse pas avant d’y avoir profondément réfléchi en posant les questions qui se présentent à lui. Il épuise ses doutes.
A la fin le disciple médite dans la compréhension qu’il a atteinte.
Cette transmission ne peut avoir lieu que grâce au maître accompli d’une lignée spirituelle authentique. La transmission complète a encore lieu actuellement au sein de quelques traditions asiatiques. Il n’y a rien à proprement parler à transmettre et pourtant la non-transmission doit se transmettre. Un mystère de plus mais c’est toujours le même mystère, le même secret ouvert.
BIBLIOGRAPHIE
CARRE Patrick LES ENTRETIENS DE HOUANG-PO POINTS SAGESSE
DEMIEVILLE Paul ENTRETIENS DE LIN-TSI FAYARD
DESPEUX Catherine LES ENTRETIENS DE MAZU LES DEUX OCEANS
GERNET Jacques ENTRETIENS DU MAÎTRE DE DHYANA CHEN-HOUEI DU HO-TSÖ ECOLE FRANCAISE D’EXTREME ORIENT
HOOVER Thomas L’EXPERIENCE DU ZEN ALBIN MICHEL
HOULNE Lucien DISCOURS ET SERMONS DE HOUEÏ-NENG ALBIN MICHEL
Revue HERMES n°4 TCH’AN ZEN Racines et floraisons PARIS
KALOU Rimpoché BOUDHISME VIVANT CLAIRE LUMIERE
KALOU Rimpoché BOUDHISME PROFOND CLAIRE LUMIERE
KALOU Rimpoché BOUDHISME ESOTERIQUE CLAIRE LUMIERE
1) Ce texte a 14 ans. Depuis des « savants » ont contesté la présentation chronologique des patriarches. L’histoire aurait été « arrangée » au fil des siècles et selon l’école dominante. Rien que de bien connu, l’histoire est toujours écrite par des « vainqueurs ».
2) Le lexique n’est pas du tout homogène, les différents traducteurs employant des mots différents pour recouvrir des concepts similaires voire identiques. Mais ce problème persiste dans la littérature actuelle c’est pourquoi il vaut parfois mieux avoir soit un seul maître (ou un seul traducteur) soit une pluralité de maîtres et/ou de traducteurs. J’ai une nette préférence pour la deuxième attitude, surtout en ce qui concerne les traducteurs.